Libra-vous?
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18 juin 2019, Genève
Tom Shark sirote un mojito au bord de la piscine de l’hôtel de luxe President Wilson à Genève, lorsqu’il entend la sonnerie de son téléphone portable se manifester à de multiples reprises et durant près d’une minute. Lorsqu’il le consulte, il prend connaissance d’une news qui semble captiver le monde. Facebook s’apprêterait à lancer une nouvelle cryptomonnaie intitulée Libra. Il s’agira ni plus ni moins que de concurrencer le bitcoin et de permettre aux internautes d’utiliser Facebook pour envoyer de l’argent ou faire des achats. Un portefeuille virtuel lui-même (Calibra) permettrait quant à lui de gérer ses fonds en Libra. Nul besoin d’avoir étudié à Harvard pour comprendre que cette cryptomonnaie pourrait jouer un rôle de contre-pouvoir face aux banques centrales, respectivement concurrencer tous les acteurs du secteur financier qui n’y participeraient pas. Mais il y a plus en ce sens que cette monnaie sera gérée depuis la Suisse, ce qui ne manque pas de provoquer aux États-Unis notamment une inquiétude palpable. Le Congrès craint en effet un déséquilibre du système financier mondial et, in fine, une rivalité exacerbée avec le dollar. Tom est circonspect. Il s’interroge sur le choix de la Suisse et de la forme juridique de l’association pour le lancement de ce projet pharaonique qui réunit déjà de nombreux acteurs des secteurs du commerce, électronique, des technologies, des télécommunications et bien évidemment de la finance. Il subodore une stratégie en deux étapes visant à sonder le marché, puis à adapter le projet en fonction des critiques qu’il aura suscitées. Dans les jours suivants, c’est une véritable tempête contestataire qui se lève. Régulateurs, politiques, économistes, citoyens se manifestent en arguant de griefs divers et variés qui permettent de comprendre que le lancement de cette nouvelle cryptomonnaie ne sera pas une sinécure. Même le Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence de la Suisse, d’ordinaire si précautionneux, s’est joint à la vindicte et réclame des explications en termes de protection des données. David Marcus, la tête pensante helvétique de ce projet, l’homme à qui tout avait réussi devrait se transformer en magicien pour éviter un emballement frénétique synonyme de mort subite du projet. Tom constate avec ravissement qu’il n’était pas si loin de la vérité, puisque quelques semaines plus tard le projet avait pris une tournure moins ambitieuse et se concentrait désormais sur le respect des normes en matière de confidentialité, de lutte contre le blanchiment d’argent, de protection des consommateurs et surtout de stabilité financière. Marcus avait dû faire marche arrière avant de se consumer tel Icare.
18 juin 2021, New-York
David Marcus entre dans la salle le regard triomphant et l’œil vif. Il sait qu’il a gagné. Le projet Libra est désormais sur les rails et rien ni personne ne pourront l’arrêter. La stratégie de déploiement massif dans les pays en développement a parfaitement fonctionné. Si les téléphones sont dans toutes les poches, nombreux sont ceux qui ne disposent pas d’un compte bancaire. Facebook y a vu une opportunité en or. Ajoutez à cela des frais réduits au minimum et vous aurez les ingrédients d’une percée historique. Les premières cibles ont été les pays en crise comme le Venezuela, où l’hyperinflation fait rage depuis plusieurs années. Tous ces pays cibles prioritairement par la Chine sont devenus stratégiquement incontournables pour les États-Unis. Facebook a su tirer parti de la guerre commerciale qui a régné durant plusieurs années avec un discours assez simple à l’intention des membres du Congrès et des régulateurs : les Chinois ou nous, que préférez-vous ? La peur de perdre définitivement l’accès à des marchés prometteurs a fait le reste. Tom étudie avec attention la gestuelle de Marcus...
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