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BRUTE FORCE : L'ÉCOLOGIE SELON MARVEL COMICS

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Il arrive parfois que les comics décident d’embrasser de nobles causes. Mais pas toujours de la façon la plus judicieuse. Revenons à l’époque où Marvel pensait que la meilleure solution pour sauver la planète, c’était de filer des flingues aux dauphins…

Si vous avez grandi durant les années 1980 et 1990, vous savez à quel point ces décennies symbolisent le règne des merdes en plastique. Depuis le succès colossal de Star Wars en 1977, et de la ligne de figurines commercialisée par Kenner, tous les fabricants de jouets cherchent la licence qui cartonnera auprès des gosses. Les Transformers et les G.I. Joe de Hasbro, les Cosmocats de LJN, les fameux Maîtres de l’Univers de Mattel, sans oublier le succès des Teenage Mutant Ninja Turtles de Playmates, autant de bonshommes en plastoc qui envahissent la chambre des enfants et vident le porte-monnaie des parents. Paradoxalement, tandis que la promotion de ces nouvelles figures de la Pop Culture est assurée par des dessins animés diffusés à la télévision, c’est aussi à cette période que diverses productions commencent à sensibiliser le jeune public à l’écologie. De Captain Planet à Widget, en passant par SOS Polluards et certaines séries de Tokusatsu, les messages incitant les enfants à protéger la nature et la vie sauvage sont partout.

C’est en 1989, dans ce contexte qui mêle surproduction d’action figures et éveil quant à l’importance de notre environnement, que Marvel Comics demande au designer Charles Viola de concevoir des personnages qui pourraient devenir une ligne de jouets à succès. Fort d’avoir su adapter en comic book les G.I. Joe et les Transformers, et de l’accueil commercial, quelques années auparavant, de la gamme Secret Wars développée avec Mattel, l’éditeur américain est persuadé de pouvoir vendre les droits de ses nouveaux héros à un fabricant de jouets pour une petite fortune. Il faut dire que, même si on l’a un peu oublié aujourd’hui, il fut une époque où la Maison des Idées était experte en matière de partenariats plus ou moins pérenne : de ROM le chevalier de l’espace, avec Parker Brothers, à Dazzler en collaboration avec Casablanca Records, en passant par la Saga de Crystar, avec Remco, Marvel Comics a, notamment durant les années 1980, multiplié les coentreprises à double sens, pour le meilleur et pour le pire. Le premier numéro de Brute Force sort en juin 1990, soit trois mois avant la première diffusion de Captain Planet à la télévision et plus d’un an avant son adaptation en comic book par Marvel, qui ne connaîtra que douze numéros, mais c’est une tout autre histoire. Pourtant, Brute Force n’est pas véritablement une série initiatrice de tendance pour la bande dessinée américaine, le Animal Man de Grant Morrison la précédant de plusieurs années. Elle est néanmoins totalement dans l’air du temps en ce qui concerne ses thématiques, même si son approche est largement perfectible.

Scénarisée par Simon Furman et dessinée par Jose Delbo, la mini-série en quatre numéros s’ouvre sur l’attaque d’un laboratoire de la société Multicorp, dans lequel travaille le scientifique Randall Pierce. Une équipe de clowns armés jusqu’aux dents, sans doute échappée du fast-food du coin, fait irruption alors que le docteur Pierce pratique une opération extrêmement délicate visant à sauver la vie d’un gorille en le transformant en cyborg. Après que le commando costumé ait pris la fuite en emportant avec lui l’animal amélioré, Randall Pierce s’empresse de prévenir son patron, Monsieur Frost, qui ne semble pas vraiment paniqué par la situation, et lui interdit formellement de prévenir la police. Après quelques tergiversations d’ordre moral et un échange avec son fils autour des responsabilités qui nous incombent vis-à-vis de notre belle planète bleue, le docteur Pierce décide finalement que le meilleur moyen d’aller sauver son gorille est de transformer d’autres animaux, innocents et en parfaite santé, en machines de guerre. Surfstreak le dauphin, Lionheart le lion, Soar l’aigle, Wreckless l’ours, et Hip Hop le kangourou, voilà les cinq animaux qui vont former une équipe d’un genre nouveau : Brute Force !

Désormais dotés d’une intelligence supérieure et de la parole, équipés de lance-roquettes, de canons lasers, et capables de se transformer en véhicules, nos cyber-animaux sont donc envoyés en mission en dépit du bon sens, sans aucune précaution ou prise en considération des dommages qu’ils pourraient causer. Des débuts difficiles, presque burlesques, tant les membres de Brute Force peinent à coopérer. Entre leur incapacité à utiliser leur équipement et leurs caractères incompatibles, cette première mission est un semi-échec, puisqu’ils ne parviennent pas à récupérer le gorille, mais réussissent tout de même à protéger le village d’une tribu amazonienne d’un groupe paramilitaire qui voulait les exproprier. On découvre à la fin du premier numéro que les mercenaires en question portaient de l’équipement conçu par Multicorp, et que l’homme derrière les malversations criminelles qui ont mené au kidnapping du gorille n’est autre que son président : Monsieur Frost ! L’épisode se conclut sur la première apparition de l’équipe de super-animaux antagonistes créée par Frost pour tenir tête à Brute Force : Heavy Metal !Un requin, un rhinocéros, une pieuvre, un vautour, et le fameux gorille capturé plus tôt, de “vilains” animaux qui ont à leur tour été transformés en machines destructrices.

Dans le numéro suivant, le docteur Pierce se questionne sur sa décision de transformer les membres de Brute Force, tandis que les animaux cybernétiques apprendront à leurs dépens que leur nouvelle condition inédite ne leur permettra pas de trouver facilement une place dans notre monde. On assiste au premier affrontement avec Heavy Metal, qui a pour objectif de faire couler un pétrolier, et Frost parvient finalement à faire arrêter Pierce, qu’il fait passer pour le méchant de l’histoire. Le troisième épisode alerte le jeune lecteur sur les dangers de la pollution, en mettant en scène une créature mutante transformée par un environnement toxique créé de toutes pièces par Frost comme une simulation de l’écosystème du futur. Et enfin, le quatrième et dernier numéro oppose les animaux de Brute Force à de faux activistes anti-nucléaire, qui s'avéreront être envoyés par Frost, avant leur affrontement final avec Heavy Metal. Brute Force parvient à arrêter Frost avec l’aide du docteur Pierce, et décident de continuer à travailler ensemble pour sauver la planète, malgré leurs différences. Ironiquement, cet ultime épisode se termine par “The Beginning”, ou “Le Commencement” dans la langue du docteur Klein, mais la suite des aventures de Brute Force va se faire attendre.

Brute Force est une mini-série pleine de contradictions. Pensée pour parler à un jeune public ; elle devait dans un premier temps être publiée sur le label STAR de Marvel, regroupant les titres à destination des enfants ; elle adopte pourtant un ton acide qui se moque des multinationales et de la malbouffe, dénonce les prémices de ce que l’on appelle aujourd’hui le “greenwashing” et va jusqu’à traiter d’écoterrorisme. Mais, en parallèle, Brute Force passe totalement à côté de son message écolo sur de nombreux points, à commencer par la nature même de ses héros. Protéger la nature en transformant d'innocents animaux sauvages en armes de guerre destructrices, un non-sens total qui ne semble interpeller personne chez Marvel. Pas plus que de propager un message totalement idiot à base de “gentils” et de “méchants” animaux rempli de clichés éculés : le sympathique dauphin contre le vilain requin, l’aigle majestueux contre le vautour malfaisant, et ainsi de suite. Tout ça est justifié de façon plus ou moins implicite par une formule que l’on pourrait synthétiser en “c’est cool, donc ça passe”, une vision décérébrée - et typiquement américaine - dans laquelle la violence et les armes règlent pas mal de problèmes. Le scénariste Simon Furman et l’équipe éditoriale formée par Bob Budiansky, Tom Brevoort et Tom DeFalco se renvoient d’ailleurs volontiers la balle quand il s’agit de déterminer de qui vient telle ou telle idée. Un peu comme si assumer la paternité de Brute Force n’était pas la plus grande fierté de leur carrière, et on peut le comprendre.

La série possède quand même quelques points fort remarquables, comme les dessins de l’Argentin Jose Delbo, qui avait déjà œuvré sur les adaptations en comics des Transformers et des Thundercats pour Marvel, mais aussi, dans un genre totalement différent, sur Wonder Woman chez DC Comics. L’artiste parvient de façon assez surprenante à donner un peu de crédibilité à ces personnages, mélanges improbables d’animaux réalistes et de robots aux points d’articulation similaires à ceux de figurines faites pour être moulées à la chaîne. L’ensemble est plutôt agréable graphiquement, tout en restant assez enfantin dans l’esprit. Le fond est loin d’être bête et la personnification des différents animaux est parfois intéressante, notamment quand il s’agit d’opposer leurs caractères distincts et leur soif de leadership. L’écriture très directe des personnages se heurte donc à un aspect visuel digne d’une série pour enfants des années 1980, si bien que l’on ne saisit plus vraiment quel est le public visé. Les aventures de nos animaux cybernétiques s’inspirent également de véritables catastrophes écologiques contemporaines de leur publication pour sensibiliser le jeune lectorat qui, avouons-le, est certainement passé à côté de toutes ces références bien trop sérieuses. Une dichotomie qui n’échappe finalement à personne une fois passées les portes des bureaux de Marvel Comics, dont la stratégie commerciale vis-à-vis des fabricants de jouets s’avère pour le moins bancale. Résultat : Brute Force tombe dans l’oubli pendant plus de vingt ans.

Exception faite d’une équipe de monstres génétiquement modifiés créés par Arnim Zola et affrontant les Thunderbolts le temps de quelques épisodes, en 1999, il faut attendre 2014 pour revoir la Brute Force originale en action, dans les pages du premier numéro de Deadpool Bi-Annual. Engagé pour empêcher des militants écologistes de s’en prendre à un parc aquatique qui maltraite des animaux marins, le mercenaire provocateur va faire face aux défenseurs de la nature : les super animaux de Brute Force ! Un épisode assez réussi et plutôt amusant, qui assume pleinement le côté kitsch de ces animaux robotisés, et dont l’autodérision, Deadpool oblige, contraste fortement avec le ton presque grave de la mini-série d’origine. Quoi qu’on en pense, ce Deadpool Bi-Annual officialise le statut canonique de Brute Force au sein de l’univers Marvel, chose qui n’avait jamais été clairement établie auparavant, et ouvre la porte à l’utilisation de l’équipe dans d’autres histoires.

En 2019, le one-shot Wolverine & Captain America : Weapon Plus éclaire le lecteur sur les individus améliorés de l’univers Marvel, notamment sur la création des animaux de Brute Force, mais aussi sur l’existence d’autres super-animaux liés au programme Weapon Plus, comme Weapon II, l’écureuil qui possède les mêmes pouvoirs que Wolverine… Et oui, tout est possible dans les comics. Le sujet des animaux modifiés par la science est d’ailleurs assez vaste dans la bande dessinée américaine. Rien que chez Marvel, on pourrait parler de Rocket Racoon, ou des Power Pachyderms, une équipe pour le moins étonnante constituée d’éléphants exposés aux radiations d’une bombe atomique avant leur naissance et ayant développé des super pouvoirs. Un seul numéro de cette étrange parodie a été publié en 1989, et il figure sûrement sur la liste des armes de guerre interdites sur le site d’Amnesty International. Dans un genre beaucoup plus moderne, We3 de Grant Morrison et Frank Quitely fait écho à Brute Force en racontant comment un chien, un chat et un lapin sont transformés en machines de guerre hi-tech. Une brillante mini-série, aux thématiques très actuelles, dont je vous recommande chaudement la lecture.

Si j’ai voulu vous parler de Brute Force, au-delà de son aspect déconcertant, c’est parce que cette série est la preuve que l’on peut réfléchir de plein de façons différentes sur la BD, même quand l'objet de cette réflexion paraît totalement idiot au premier abord. Malgré ses motivations mercantiles et sa combinaison aliénée d’idées contradictoires, la mini-série de Furman et Delbo lance quelques pistes qui ne sont pas intéressantes et restent très pertinentes trois décennies plus tard, d’autant plus quand on l’analyse avec un regard critique quant aux desseins initiaux de Marvel. Qui aurait pu s’en douter en 1990, quand ça semblait normal de donner un bazooka à un ours ?

Avant de terminer, si les thématiques soulevées par Brute Force vous intéressent, je vous recommande d’aller faire un tour sur le blog de Ecologeek, une véritable mine d’or en la matière !

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Si vous avez grandi durant les années 1980 et 1990, vous savez à quel point ces décennies symbolisent le règne des merdes en plastique. Depuis le succès colossal de Star Wars en 1977, et de la ligne de figurines commercialisée par Kenner, tous les fabricants de jouets cherchent la licence qui cartonnera auprès des gosses. Les Transformers et les G.I. Joe de Hasbro, les Cosmocats de LJN, les fameux Maîtres de l’Univers de Mattel, sans oublier le succès des Teenage Mutant Ninja Turtles de Playmates, autant de bonshommes en plastoc qui envahissent la chambre des enfants et vident le porte-monnaie des parents. Paradoxalement, tandis que la promotion de ces nouvelles figures de la Pop Culture est assurée par des dessins animés diffusés à la télévision, c’est aussi à cette période que diverses productions commencent à sensibiliser le jeune public à l’écologie. De Captain Planet à Widget, en passant par SOS Polluards et certaines séries de Tokusatsu, les messages incitant les enfants à protéger la nature et la vie sauvage sont partout.

C’est en 1989, dans ce contexte qui mêle surproduction d’action figures et éveil quant à l’importance de notre environnement, que Marvel Comics demande au designer Charles Viola de concevoir des personnages qui pourraient devenir une ligne de jouets à succès. Fort d’avoir su adapter en comic book les G.I. Joe et les Transformers, et de l’accueil commercial, quelques années auparavant, de la gamme Secret Wars développée avec Mattel, l’éditeur américain est persuadé de pouvoir vendre les droits de ses nouveaux héros à un fabricant de jouets pour une petite fortune. Il faut dire que, même si on l’a un peu oublié aujourd’hui, il fut une époque où la Maison des Idées était experte en matière de partenariats plus ou moins pérenne : de ROM le chevalier de l’espace, avec Parker Brothers, à Dazzler en collaboration avec Casablanca Records, en passant par la Saga de Crystar, avec Remco, Marvel Comics a, notamment durant les années 1980, multiplié les coentreprises à double sens, pour le meilleur et pour le pire. Le premier numéro de Brute Force sort en juin 1990, soit trois mois avant la première diffusion de Captain Planet à la télévision et plus d’un an avant son adaptation en comic book par Marvel, qui ne connaîtra que douze numéros, mais c’est une tout autre histoire. Pourtant, Brute Force n’est pas véritablement une série initiatrice de tendance pour la bande dessinée américaine, le Animal Man de Grant Morrison la précédant de plusieurs années. Elle est néanmoins totalement dans l’air du temps en ce qui concerne ses thématiques, même si son approche est largement perfectible.

Scénarisée par Simon Furman et dessinée par Jose Delbo, la mini-série en quatre numéros s’ouvre sur l’attaque d’un laboratoire de la société Multicorp, dans lequel travaille le scientifique Randall Pierce. Une équipe de clowns armés jusqu’aux dents, sans doute échappée du fast-food du coin, fait irruption alors que le docteur Pierce pratique une opération extrêmement délicate visant à sauver la vie d’un gorille en le transformant en cyborg. Après que le commando costumé ait pris la fuite en emportant avec lui l’animal amélioré, Randall Pierce s’empresse de prévenir son patron, Monsieur Frost, qui ne semble pas vraiment paniqué par la situation, et lui interdit formellement de prévenir la police. Après quelques tergiversations d’ordre moral et un échange avec son fils autour des responsabilités qui nous incombent vis-à-vis de notre belle planète bleue, le docteur Pierce décide finalement que le meilleur moyen d’aller sauver son gorille est de transformer d’autres animaux, innocents et en parfaite santé, en machines de guerre. Surfstreak le dauphin, Lionheart le lion, Soar l’aigle, Wreckless l’ours, et Hip Hop le kangourou, voilà les cinq animaux qui vont former une équipe d’un genre nouveau : Brute Force !

Désormais dotés d’une intelligence supérieure et de la parole, équipés de lance-roquettes, de canons lasers, et capables de se transformer en véhicules, nos cyber-animaux sont donc envoyés en mission en dépit du bon sens, sans aucune précaution ou prise en considération des dommages qu’ils pourraient causer. Des débuts difficiles, presque burlesques, tant les membres de Brute Force peinent à coopérer. Entre leur incapacité à utiliser leur équipement et leurs caractères incompatibles, cette première mission est un semi-échec, puisqu’ils ne parviennent pas à récupérer le gorille, mais réussissent tout de même à protéger le village d’une tribu amazonienne d’un groupe paramilitaire qui voulait les exproprier. On découvre à la fin du premier numéro que les mercenaires en question portaient de l’équipement conçu par Multicorp, et que l’homme derrière les malversations criminelles qui ont mené au kidnapping du gorille n’est autre que son président : Monsieur Frost ! L’épisode se conclut sur la première apparition de l’équipe de super-animaux antagonistes créée par Frost pour tenir tête à Brute Force : Heavy Metal !Un requin, un rhinocéros, une pieuvre, un vautour, et le fameux gorille capturé plus tôt, de “vilains” animaux qui ont à leur tour été transformés en machines destructrices.

Dans le numéro suivant, le docteur Pierce se questionne sur sa décision de transformer les membres de Brute Force, tandis que les animaux cybernétiques apprendront à leurs dépens que leur nouvelle condition inédite ne leur permettra pas de trouver facilement une place dans notre monde. On assiste au premier affrontement avec Heavy Metal, qui a pour objectif de faire couler un pétrolier, et Frost parvient finalement à faire arrêter Pierce, qu’il fait passer pour le méchant de l’histoire. Le troisième épisode alerte le jeune lecteur sur les dangers de la pollution, en mettant en scène une créature mutante transformée par un environnement toxique créé de toutes pièces par Frost comme une simulation de l’écosystème du futur. Et enfin, le quatrième et dernier numéro oppose les animaux de Brute Force à de faux activistes anti-nucléaire, qui s'avéreront être envoyés par Frost, avant leur affrontement final avec Heavy Metal. Brute Force parvient à arrêter Frost avec l’aide du docteur Pierce, et décident de continuer à travailler ensemble pour sauver la planète, malgré leurs différences. Ironiquement, cet ultime épisode se termine par “The Beginning”, ou “Le Commencement” dans la langue du docteur Klein, mais la suite des aventures de Brute Force va se faire attendre.

Brute Force est une mini-série pleine de contradictions. Pensée pour parler à un jeune public ; elle devait dans un premier temps être publiée sur le label STAR de Marvel, regroupant les titres à destination des enfants ; elle adopte pourtant un ton acide qui se moque des multinationales et de la malbouffe, dénonce les prémices de ce que l’on appelle aujourd’hui le “greenwashing” et va jusqu’à traiter d’écoterrorisme. Mais, en parallèle, Brute Force passe totalement à côté de son message écolo sur de nombreux points, à commencer par la nature même de ses héros. Protéger la nature en transformant d'innocents animaux sauvages en armes de guerre destructrices, un non-sens total qui ne semble interpeller personne chez Marvel. Pas plus que de propager un message totalement idiot à base de “gentils” et de “méchants” animaux rempli de clichés éculés : le sympathique dauphin contre le vilain requin, l’aigle majestueux contre le vautour malfaisant, et ainsi de suite. Tout ça est justifié de façon plus ou moins implicite par une formule que l’on pourrait synthétiser en “c’est cool, donc ça passe”, une vision décérébrée - et typiquement américaine - dans laquelle la violence et les armes règlent pas mal de problèmes. Le scénariste Simon Furman et l’équipe éditoriale formée par Bob Budiansky, Tom Brevoort et Tom DeFalco se renvoient d’ailleurs volontiers la balle quand il s’agit de déterminer de qui vient telle ou telle idée. Un peu comme si assumer la paternité de Brute Force n’était pas la plus grande fierté de leur carrière, et on peut le comprendre.

La série possède quand même quelques points fort remarquables, comme les dessins de l’Argentin Jose Delbo, qui avait déjà œuvré sur les adaptations en comics des Transformers et des Thundercats pour Marvel, mais aussi, dans un genre totalement différent, sur Wonder Woman chez DC Comics. L’artiste parvient de façon assez surprenante à donner un peu de crédibilité à ces personnages, mélanges improbables d’animaux réalistes et de robots aux points d’articulation similaires à ceux de figurines faites pour être moulées à la chaîne. L’ensemble est plutôt agréable graphiquement, tout en restant assez enfantin dans l’esprit. Le fond est loin d’être bête et la personnification des différents animaux est parfois intéressante, notamment quand il s’agit d’opposer leurs caractères distincts et leur soif de leadership. L’écriture très directe des personnages se heurte donc à un aspect visuel digne d’une série pour enfants des années 1980, si bien que l’on ne saisit plus vraiment quel est le public visé. Les aventures de nos animaux cybernétiques s’inspirent également de véritables catastrophes écologiques contemporaines de leur publication pour sensibiliser le jeune lectorat qui, avouons-le, est certainement passé à côté de toutes ces références bien trop sérieuses. Une dichotomie qui n’échappe finalement à personne une fois passées les portes des bureaux de Marvel Comics, dont la stratégie commerciale vis-à-vis des fabricants de jouets s’avère pour le moins bancale. Résultat : Brute Force tombe dans l’oubli pendant plus de vingt ans.

Exception faite d’une équipe de monstres génétiquement modifiés créés par Arnim Zola et affrontant les Thunderbolts le temps de quelques épisodes, en 1999, il faut attendre 2014 pour revoir la Brute Force originale en action, dans les pages du premier numéro de Deadpool Bi-Annual. Engagé pour empêcher des militants écologistes de s’en prendre à un parc aquatique qui maltraite des animaux marins, le mercenaire provocateur va faire face aux défenseurs de la nature : les super animaux de Brute Force ! Un épisode assez réussi et plutôt amusant, qui assume pleinement le côté kitsch de ces animaux robotisés, et dont l’autodérision, Deadpool oblige, contraste fortement avec le ton presque grave de la mini-série d’origine. Quoi qu’on en pense, ce Deadpool Bi-Annual officialise le statut canonique de Brute Force au sein de l’univers Marvel, chose qui n’avait jamais été clairement établie auparavant, et ouvre la porte à l’utilisation de l’équipe dans d’autres histoires.

En 2019, le one-shot Wolverine & Captain America : Weapon Plus éclaire le lecteur sur les individus améliorés de l’univers Marvel, notamment sur la création des animaux de Brute Force, mais aussi sur l’existence d’autres super-animaux liés au programme Weapon Plus, comme Weapon II, l’écureuil qui possède les mêmes pouvoirs que Wolverine… Et oui, tout est possible dans les comics. Le sujet des animaux modifiés par la science est d’ailleurs assez vaste dans la bande dessinée américaine. Rien que chez Marvel, on pourrait parler de Rocket Racoon, ou des Power Pachyderms, une équipe pour le moins étonnante constituée d’éléphants exposés aux radiations d’une bombe atomique avant leur naissance et ayant développé des super pouvoirs. Un seul numéro de cette étrange parodie a été publié en 1989, et il figure sûrement sur la liste des armes de guerre interdites sur le site d’Amnesty International. Dans un genre beaucoup plus moderne, We3 de Grant Morrison et Frank Quitely fait écho à Brute Force en racontant comment un chien, un chat et un lapin sont transformés en machines de guerre hi-tech. Une brillante mini-série, aux thématiques très actuelles, dont je vous recommande chaudement la lecture.

Si j’ai voulu vous parler de Brute Force, au-delà de son aspect déconcertant, c’est parce que cette série est la preuve que l’on peut réfléchir de plein de façons différentes sur la BD, même quand l'objet de cette réflexion paraît totalement idiot au premier abord. Malgré ses motivations mercantiles et sa combinaison aliénée d’idées contradictoires, la mini-série de Furman et Delbo lance quelques pistes qui ne sont pas intéressantes et restent très pertinentes trois décennies plus tard, d’autant plus quand on l’analyse avec un regard critique quant aux desseins initiaux de Marvel. Qui aurait pu s’en douter en 1990, quand ça semblait normal de donner un bazooka à un ours ?

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